17 – L’ABDICATION

Grisée par la caresse de son amant, grisée par l’assurance d’amour que Fantômas venait de lui donner, lady Beltham avait répondu au sinistre bandit qu’elle l’aimait et qu’elle l’aimait pour la vie.

Était-ce bien vrai ?

Lady Beltham était-elle bien sincère ? Avait-elle confiance réellement dans les paroles de tendresse que venait de lui prodiguer le Maître de l’Épouvante, l’homme aux cent visages, le tortionnaire qu’aucun crime, aucune cruauté, aucune lâcheté même n’avait fait jusqu’alors reculer ?

Lorsque, quelques instants plus tard, Fantômas s’était éloigné, le front soucieux, l’air préoccupé, lorsqu’il avait abandonné la grande dame, celle-ci avait paru se réveiller d’un rêve :

— Il m’a juré qu’il m’aimait, dit-elle.

Puis, elle avait eu un geste découragé, un geste anxieux.

Dans le secret de sa conscience, dans le mystère de son cœur, elle se demandait assurément si Fantômas lui avait dit la vérité.

La nuit était tombée. Le grand salon où lady Beltham venait de recevoir Fantômas était envahi peu à peu par l’ombre.

***

Longtemps lady Beltham rêva dans la pièce, les yeux grands ouverts :

— Il m’a dit qu’il m’aimait…

Lady Beltham se raccrochait à cette phrase en désespérée. Elle voulait lui trouver un sens profond. Elle voulait se rappeler l’intonation qui lui avait servi à la dire, elle voulait savoir s’il avait été sincère. Mais était-ce bien possible ?

Lady Beltham se rappela les phénomènes étranges qui l’avaient inquiétée avant la venue de son amant. Qui était cette Rose Coutureau si mystérieusement apparue dans sa vie ? Pourquoi cette jeune fille qu’elle ne connaissait pas l’avait-elle volée, et aussi quelle était cette mystérieuse vieille femme dont la visite inattendue et les propos tragiques avaient bouleversé lady Beltham ?

— Mon Dieu, mon Dieu, gémissait la grande dame se retrouvant seule dans son salon, qui croire ? Pourquoi cette vieille femme, qui est la mère de Rose Coutureau, m’a-t-elle parlé de cette effroyable lettre ? Qui l’a écrite ? Qui, si ce n’est pas, si ce n’est pas Fantômas ?

Depuis longtemps lady Beltham vivait une vie si effacée, si retirée, que seul le Maître de l’Effroi connaissait son existence et pouvait s’intéresser à elle ou bien la menacer.

Sans doute, Fantômas avait dit que Juve était capable de la poursuivre, que c’était Juve qui avait combiné le vol de Rose Coutureau et la visite de cette vieille femme, peut-être simplement déguisée et cachant la personnalité de la jeune voleuse. Mais Fantômas ne pouvait pas avoir été sincère en affirmant de pareilles choses. Lady Beltham savait bien quelle était la droiture de caractère de Juve.

— Non. C’est impossible, murmurait la grande dame. Juve n’emploierait pas de semblables procédés pour m’effrayer. C’est impossible. Juve n’était pas un assassin, d’ailleurs.

Or, qui donc, sinon un assassin, pouvait annoncer à jour fixe sa mort et l’annoncer en termes si précis ?

Et, petit à petit, en réfléchissant ainsi, lady Beltham finit par décider que Fantômas lui avait joué une comédie d’amour mensongère. C’était lui, et ce ne pouvait être que lui, qui avait décidé de la tuer. Mais au moment où elle s’arrêtait à cette infernale pensée, lady Beltham hésitait encore.

Fantômas avait eu des accents si sincères pour lui jurer sa tendresse, il avait réellement paru si bouleversé lorsqu’elle lui avait confié sa peur, qu’elle ne pouvait, elle sa maîtresse, croire que, dans l’ombre, il préparait sa mort.

Lady Beltham, après avoir longtemps rêvé, se levait, sans plus même savoir si elle croyait au juste à la tendresse de Fantômas ou si elle en doutait. Une pensée cruelle, une pensée nouvelle encore venait d’empoisonner son cœur :

Si cependant il en aimait une autre ? Si je le gênais ?

Et, lady Beltham qui, elle, restait fidèle à cet amant redoutable, mais séduisant, pour lequel elle était tombée jusqu’au crime, devenait affreusement jalouse et connaissait aussi la peur, les affres douloureuses du soupçon.

Par un revirement subit et violent, la grande dame désormais ne se posait plus la question :

— M’aime-t-il encore ?

Son cœur d’amante effroyablement bouleversé, torturé à l’idée bientôt hallucinante, lui suggérait l’horrible certitude :

— Il en aime une autre ! Qui ? Quelle est cette femme ?

Lady Beltham dormit mal.

Elle n’avait point eu la force de toucher au repas que ses domestiques lui avaient servi. Elle connut d’abominables cauchemars. Plus de vingt fois dans la nuit, elle se réveilla haletante, la gorge serrée par une convulsion douloureuse, avec l’impression subite qu’on l’étranglait, qu’on la tuait. Lady Beltham, alors, d’un doigt fiévreux, tournait le commutateur électrique placé près de son lit. La lumière aveuglante lui permettait de voir sa chambre vide. À l’aspect paisible de la pièce, à l’air familier des meubles et des bibelots, la hantise se dissipait. Elle sourit presque de ses craintes, le sommeil l’emportait à nouveau, et puis encore brusquement, la peur la faisait se dresser sur son lit, effarée avec le goût de la mort aux lèvres et au cœur.

À huit heures du matin seulement, lady Beltham cessa de se débattre dans ces horribles cauchemars.

Sa femme de chambre entra et, lui apportant son petit déjeuner, annonça :

— Madame la comtesse a une lettre.

— Bien, Marie, donnez !

La femme de chambre partie, lady Beltham repoussa le déjeuner préparé sur un plateau à côté d’elle et s’empara de l’enveloppe qu’on venait de lui remettre.

— Mon Dieu, murmura la pauvre femme, qui donc peut m’écrire si ce n’est lui ?

Et lady Beltham, affolée, lut cette lettre surprenante :

Pour lady Beltham, 214, avenue Niel.

Madame,

Il faut que tout se paie et les crimes que vous avez accumulés méritent un châtiment exemplaire. N’avez-vous jamais eu de remords ? Ne vous êtes-vous jamais dit qu’un jour viendrait où la vengeance de vos victimes vous atteindrait sans merci, sans pitié ? Veuillez croire que, quelque tentative que vous fassiez pour échapper à votre destin, lady Beltham, vous mourrez le sept de ce mois, exécutée par celui qui vous écrit aujourd’hui et qui vous hait.

Il n’y avait pas de signature. Mais que voulait dire ce billet ?

Lady Beltham était si affolée par son étrange teneur qu’elle le relut plus de vingt fois sans en comprendre le sens.

Que voulaient dire ces phrases énigmatiques ? Que signifiait cette lettre adressée à la comtesse de Blangy, et dans laquelle il n’était parlé que de lady Beltham ?

Ah, sans doute, la malheureuse amante de Fantômas ne pouvait s’y tromper.

La lettre qu’elle recevait ce matin-là, c’était la lettre qu’avait annoncée la mère de Rose Coutureau, c’était la lettre de mort qui lui annonçait son assassinat.

Lady Beltham, sans en avoir conscience, relut les mots à haute voix :

Le sept de ce mois, vous mourrez exécutée par celui qui vous hait

Le sept de ce mois.

Elle jeta les yeux sur un mignon calendrier posé sur un petit secrétaire dans l’angle de sa chambre.

— Nous sommes le 5, murmurait lady Beltham, je n’ai donc plus que deux jours à vivre.

Un grand froid l’envahissait et son cœur cessait de battre.

— Dans deux jours je serai morte.

Elle répétait cette horrible chose avec une impassibilité qui tenait de la folie.

Était-ce bien possible pourtant ?

Et puis que de détails étranges ! Pourquoi cette lettre parlait-elle de châtiment et de vengeance ?

Qui donc pouvait la châtier ? Qui donc pouvait se venger d’elle ?

Lady Beltham examinait avec une angoisse folle la grande écriture inconnue.

Certes, elle ne s’était pas trompée. C’était une écriture déguisée, une écriture voulue, imitée, et lady Beltham se répéta soudain avec une persuasion absolue :

— C’est Fantômas qui m’écrit ! C’est Fantômas qui veut me tuer, et s’il a fait sa lettre énigmatique, si elle est conçue en des termes bizarres, c’est sans doute qu’il a voulu éviter jusqu’au dernier moment que je puisse éviter la mort qu’il me prépare.

Et elle songeait encore :

— C’est bien de lui, d’ailleurs, cette froide cruauté : prévenir d’avance la victime qu’il menace. Me tuer pour se débarrasser de moi, ce n’était pas assez. Il a voulu que je sache que j’allais mourir. S’il est venu hier c’était pour guetter sur mon visage les frissons de ma peur.

Lady Beltham relut posément le billet menaçant ; puis elle le plia, elle resta quelques instants à méditer et soudain elle sonna.

— Marie, commandait la grande dame à la femme de chambre qui accourait, dépêchez-vous de m’habiller, je dois sortir.

Lady Beltham, en effet, se leva en toute hâte. Elle fit sa toilette avec rapidité, elle revêtit un tailleur qui la moulait et la faisait plus divinement élégante que d’habitude, puis, ayant serré la lettre de mort dans une bourse en or d’un travail précieux, elle sortit, elle descendit l’avenue Niel.

Lady Beltham, à cet instant, avait un visage farouche et résolu.

Quelle décision avait-elle donc prise ? Où donc se rendait-elle ?

La comtesse de Blangy possédait une superbe automobile. Elle n’avait point fait demander son chauffeur. C’est à pied qu’elle monta vers l’Étoile et, de temps à autre, elle se retourna comme pour être certaine qu’on ne la suivait pas.

Parvenue à l’Arc de Triomphe, lady Beltham appela un taxi-auto. Le véhicule se rangea contre le trottoir, elle ouvrit la portière, mais, prête à jeter l’adresse au cocher, la maîtresse de Fantômas hésita :

— Mon Dieu, murmurait lady Beltham, dois-je réellement en arriver là ? C’est presque une trahison.

Puis, ses sourcils se froncèrent.

— Nous sommes le 5 et je dois mourir le 7.

Elle eût peut-être longtemps hésité, elle eût peut-être tardé encore, si le chauffeur étonné de son attitude ne l’avait interrogée :

— Où dois-je conduire madame ?

Lady Beltham répondit d’une voix étrange :

— Quai des Orfèvres, à la Préfecture !

***

Il y a loin de l’Arc de Triomphe aux locaux de la Sûreté, et pourtant il parut à lady Beltham qu’une minute à peine s’écoulait entre le moment où sa voiture démarrait et le moment où elle s’arrêtait à la porte de la Préfecture de police.

Lady Beltham était alors plus morte que vive.

C’est en automate qu’elle tendit au cocher un louis dont elle n’attendit pas la monnaie.

C’est en automate qu’elle pénétra sous la voûte, qu’elle avisa la loge du concierge.

Le fonctionnaire, brave homme et perpétuellement dérangé, en apercevant cette jeune femme, n’hésita pas :

— Vous demandez les objets trouvés ? dit-il. Au fond et à gauche, vous n’avez pas fait de recherches encore ?

Mais lady Beltham ne l’avait même pas entendu.

— Je voudrais parler à l’inspecteur Juve, dit-elle.

— Affaire personnelle ? demanda le concierge qui se leva.

— Affaire personnelle, oui.

— Madame, il faut alors vous rendre au deuxième étage et demander à parler à l’inspecteur en chef. Il verra Juve. La consigne interdit, en effet…

— Il faut que je vois Juve, articula lady Beltham.

Et elle parlait avec une telle autorité, elle semblait si résolue à rencontrer l’inspecteur, que le concierge hésita.

Juve, à la Préfecture, jouissait naturellement d’une considération toute spéciale. Les ordres généraux n’étaient point pour lui, il était mêlé à tant d’affaires, ses luttes continuelles avec Fantômas lui valaient tant de troublantes aventures que bien des fois les consignes les plus formelles étaient enfreintes pour lui.

— Suivez-moi, disait le concierge.

Il précéda lady Beltham, il la guida à travers l’énorme bâtiment jusqu’à un petit salon, un parloir modeste, pauvrement meublé de quatre chaises de paille, d’une table recouverte d’un drap vert, aux murs tapissés d’un papier vert encore. Des cadres pendaient, donnant la liste des victimes du devoir.

— Madame, s’informait le portier, voulez-vous me donner votre nom ? Je vais aller voir si M. Juve est là, et s’il veut vous recevoir.

Lady Beltham ne répondit pas. Elle tira de sa bourse un porte-mine, une carte gravée au nom de la comtesse de Blangy, elle inscrivit au-dessous d’une main tremblante :

Lady B.

Plus bas et soulignant le mot :

Urgent

— Portez cela, faisait encore la grande dame, Juve me recevra.

Dix minutes plus tard, Juve en personne entrait dans le cabinet.

Juve, en recevant l’extraordinaire carte que le portier lui faisait passer en y ajoutant une description enthousiaste de la jolie dame qui l’attendait au parloir, Juve avait pensé crier de stupéfaction.

— Comment, c’était lady Beltham qui venait le voir à la Sûreté ? Lady Beltham qui le demandait ?

Juve en était stupide de surprise.

Le premier mouvement du policier avait été alors de bousculer le concierge et de se précipiter en toute hâte vers lady Beltham. Mais Juve ne suivait jamais son premier mouvement, il répondit donc tout tranquillement :

— C’est bien, je vais aller trouver cette dame.

Puis, il se prit le front à deux mains et il réfléchit :

— Pourquoi diable lady Beltham est-elle là ? se demandait-il, et quelle attitude dois-je avoir avec elle ?

Juve songeait que, pour que lady Beltham fût venue le trouver, il fallait que la maîtresse de Fantômas eût été contrainte à cette démarche par de terribles événements.

— Il est impossible, décidait Juve, qu’elle soit ici autrement qu’en vaincue. Triomphante, lady Beltham ne voudrait même pas savoir que j’existe.

Juve réfléchit encore, puis, se rendit dans le salon où l’attendait la maîtresse de Fantômas.

Ah certes, il était ému le bon Juve ! Ému au plus haut point en pensant qu’il allait se trouver en face de l’énigmatique personne.

— Si elle voulait parler ? pensait Juve. Si elle voulait vraiment être franche, une heure seulement, Fantômas tomberait en mon pouvoir et c’en serait à jamais fini des exploits du Maître de l’Effroi.

Mais lady Beltham allait-elle parler ?

Juve entrait dans la petite pièce où la maîtresse de Fantômas l’attendait en baissant les yeux.

Il eut le tact de ne point dévisager l’étonnante grande dame. Il s’inclina au contraire très bas devant elle, avec la courtoisie parfaite dont il savait user quand bon lui semblait, et c’est d’une voix très douce qu’il fit cette étrange déclaration :

— Lady Beltham, vous avez fait demander l’inspecteur Juve. Ne croyez pas que ce soit lui qui soit devant vous, c’est un homme tout autre, c’est quelqu’un qui devine que vous êtes malheureuse, qui est prêt à faire trêve dans la guerre qu’il vous livre, qui vous écoute et qui ne pense pas à abuser de la confiance que vous lui témoignez en venant le trouver.

C’était bien là, assurément, les mots qui pouvaient le plus toucher la malheureuse maîtresse de Fantômas. Lady Beltham, en voyant entrer Juve, avait blêmi.

En écoutant ses paroles, un flot de sang empourprait son front, une fièvre ardente lui faisait battre le cœur.

— Je vous remercie, Juve, disait lady Beltham. Je savais qu’en m’adressant à vous, je serais comprise. C’est une malheureuse qui vient vous trouver. C’est une malheureuse qui vient demander votre protection. La lui refuserez-vous ?

— Madame, je n’ai jamais refusé d’aider ceux qui se sont adressés à moi. Que puis-je pour vous ?

Juve était étonné, bouleversé même de l’émotion qui se peignait un instant sur le visage de lady Beltham.

— Ce que je veux de vous, répondait sourdement la superbe créature, c’est la vie. Juve, je suis condamnée à mort !

Elle avait parlé très bas, mais si bas qu’elle eût articulé ces mots, Juve n’en n’avait pas perdu un seul :

— Vous êtes condamnée à mort ? Que dites-vous là, lady Beltham ? Condamnée à mort par qui ?

Mais lady Beltham n’était pas femme à reculer devant une torture morale. Elle était venue trouver Juve sous l’aiguillon de la peur, elle souffrait terriblement dans son orgueil autant que dans son cœur, et pourtant, elle ne voulait pas être lâche vis-à-vis d’elle-même. Elle se complaisait dans ces souffrances, dans sa propre torture.

— Juve, cria lady Beltham, je dois vous dire tout au moment où j’implore votre protection. Si je suis ici devant vous, c’est qu’il faut que vous me protégiez. Oui, je suis condamnée à mort et celui qui va me tuer, c’est Fantômas.

Épuisée par l’effort qu’elle faisait ainsi en dénonçant son amant, lady Beltham, haletante, tomba sur une chaise. Des larmes roulaient sur ses joues, mais si l’émotion la bouleversait à ce point, l’âme demeurait vaillante.

Elle ne laissa pas à Juve le temps de répondre :

— Tenez, lisez ! cria-t-elle.

Et elle tendait à Juve le billet reçu par elle le matin même :

— Nous sommes le 5, et c’est le 7 que je dois mourir. Juve, Juve, sauvez-moi ! Voici tout ce que je sais.

Lady Beltham alors, d’une voix âpre, violente et qui, par moments, cependant se voilait de sanglots, fit à Juve le récit de ses dernières aventures. Elle dit l’étrange visite de la vieille femme. Elle nomma Rose Coutureau, une inconnue pour elle, elle précisa enfin la visite que lui avait faite la veille encore Fantômas.

— Juve, disait lady Beltham, j’ai aimé cet homme plus que ma vie, plus que mon honneur, mais aujourd’hui, il me fait horreur ! Ah, je n’aurai jamais le courage de vous le livrer, ne me demandez pas de vous indiquer où vous pourriez l’arrêter. Cela non, je ne le vous dirai jamais, je ne m’abaisserai pas à le trahir, mais sauvez-moi de lui ! J’étais résignée à tout, je ne peux pas me résigner à mourir par lui, par lui que j’aimais.

Juve ne répondit pas, il comprenait l’épouvantable angoisse de lady Beltham.

Il devinait ce que souffrait la malheureuse qui, sans doute, aimait encore Fantômas, mais qui n’était plus aimée de lui.

Lady Beltham pouvait dire : « sauvez-moi de lui ! ». Elle ne dirait jamais :

— Arrêtez-le.

Juve comprenait. Il se rendait compte qu’il serait inutile d’essayer de pousser la maîtresse de Fantômas à ce qu’elle appelait elle-même une trahison.

Et, tout en jugeant que lady Beltham ne l’aiderait pas à prendre Fantômas, Juve se rappelait les crimes odieux de cette femme, sa complicité tacite avec Fantômas, qui, sans elle, aurait été depuis longtemps mis dans l’impossibilité de nuire.

— Dois-je la protéger ? se demandait l’irréductible ennemi du Maître de l’Effroi.

Juve se sentait l’âme d’un justicier. À l’heure où lady Beltham venait lui demander de la sauver, Juve s’interrogeait :

— Ai-je le droit d’arrêter la justice immanente ?

Mais, si lady Beltham avait été coupable, si elle méritait le châtiment qui semblait la menacer, n’était-ce pas en raison de son amour, de cet amour malheureux qu’elle avait eu pour Gurn, et qui, petit à petit, de chute en chute, de honte en honte, en avait fait ce qu’elle était ?

— Elle a aimé, pensait Juve, et c’est là sa grande faute. Amoureuse, cette femme ne pouvait pas agir autrement qu’elle a agi. Or, son amour, d’abord, n’a pas été à un criminel, son cœur avait été surpris, c’était Gurn qu’elle avait aimé, et seule la Fatalité a voulu que Gurn soit devenu Fantômas.

Juve redressa lentement la tête.

— Madame, répondait-il d’une voix douce et pitoyable, je ne vous demande aucune confidence. Je ne vous interrogerai pas. Vous avez peur et vous êtes menacée, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Rassurez-vous, vous savez trop ce que vaut l’adversaire qu’il va nous falloir combattre, pour que j’essaye de vous tromper avec des affirmations absolues. Pourtant, il y a quelque chose que je puis vous promettre, c’est que je ferai tout au monde pour vous sauver et que, dès cette seconde, vous êtes sous ma protection.